Un hommage rendu à la mère, mais plus encore, car le récit aux allures autobiographiques parle aussi de la quête identitaire de la fille, qui, au fil des décors et des déplacements de la mère, prend conscience et souligne avec sincérité l’écart existant et persistant entre elles, fille d’officiels et la majorité du peuple sud-soudanais.
Inaugurée le 29 octobre, la 33e édition des JCC se poursuit jusqu’au 5 novembre, semant dynamique et effervescence au centre-ville de Tunis, qui accueille les activités parallèles, et sa banlieue nord. Beaucoup moins de mouvements du côté des salles de la banlieue nord où sont surtout programmés les films documentaires en compétition officielle. C’était du moins le cas avant-hier du côté de la salle marsoise Al Hambra Zephyr où les projections programmées (quotidiennement) à partir de 17h30 n’ont pas attiré grand monde. Le documentaire «No simple way home» («Au nom de la mère» dans sa version française) de Akuol de Mabior retenu en compétition officielle, y figurait dans une version originale sous-titrée en anglais (La barrière de la langue a sûrement été décisive pour les francophones). Une version française sous-titrée en anglais aurait ciblé un plus large public…
Signée par la fille de deux grandes figures de la lutte sud-soudanaise John Garang, qui fut chef de l’Armée populaire de libération du Soudan et premier vice-président du Soudan, et de Rebecca Nyandeng de Mabior, aujourd’hui vice-présidente du Soudan du Sud, «No simple way home» retrace la lutte pour la libération sud-soudanaise à travers le combat d’une famille, celui du père, mais surtout celui de la mère, vu par les yeux de la fille…
Un regard intime, des échanges informels et des cadres serrés, pour retranscrire l’histoire traumatique de ce pays créée en 2011 à travers le quotidien d’une famille et le destin d’une femme. La fille et réalisatrice avait 16 ans quand son père est décédé et a vécu dans l’exil à Nairobi au Kenya où d’ailleurs elle s’est formée dans la production de films et de médias, se spécialisant dans l’écriture et les études de genre. Elle porte en elle un lourd héritage lié à une guerre civile (1983-2005) responsable de millions de morts et de déplacés et qui a donné naissance à l’un des pays les plus pauvres du monde. En prologue du film, vidéos et images d’archives rappellent le parcours du père John Garang, celui qui fut le héros d’une nation. Une figure emblématique adulée par les Sud-Soudanais, mais aussi des promesses, des idéaux jamais concrétisés et des désillusions au vu de l’actuel état social et économique du pays que la réalisatrice n’hésite pas à figurer (à travers les images qu’elle filme du haut d’un hélicoptère des inondations qui ont ravagé le pays en 2020). A l’aune de la présence symbolique du père et de son ombre persistante, la caméra, guidée par la narration mélancolique de la réalisatrice, se braque sur la mère Rebecca Nyandeng de Mabior, sur son destin, son parcours après le départ du mari, sur ses luttes, ses désenchantements, son exil, ses souvenirs représentés surtout par ses récits et de vieilles photos de famille. On est en 2019, un accord de paix s’amorce dans le pays, la réalisatrice et sa famille qui ont dû quitter le pays à l’avènement de la guerre civile au Soudan du Sud voient surgir l’espoir de retrouver leur pays et de poursuivre les rêves de la mère. En février 2020, cette dernière devient l’une des cinq personnalités nommées à la vice-présidence du Soudan du Sud, dans une nouvelle tentative pour mettre fin à la guerre civile.
De retour au pays, la caméra de la fille suit les déplacements officiels et officieux de la mère, nous plongeant aussi bien dans l’intimité de son quotidien pour la présenter dans son intérieur, en robe de chambre échangeant avec elle sur le pays et son destin, ou encore s’attelant à la préparation traditionnelle d’une pâte ou à la cueillette de tomates dans son verger…ou alors la suivant dans son quotidien de femme politique, endurante effectuant en tenue de sport son jogging quotidien ou en tenue officielle assistant à des meetings et des réunions dans le cadre de ses fonctions.
Un hommage rendu à la mère, mais plus encore, car le récit aux allures autobiographiques parle aussi de la quête identitaire de la fille, qui, au fil des décors et des déplacements de la mère, prend conscience et souligne avec sincérité l’écart existant et persistant entre elle, fille d’officiels et la majorité du peuple sud-soudanais, ce perpétuel fossé entre politiciens et peuples. «Ce qui nous a été infligé, on l’inflige désormais aux nôtres», lâche, impuissante, peut-être complice la «Mère de la Nation», dressant l’amer bilan de son engagement au sein du nouveau gouvernement…